Point de vue d'enfance.

On se souvient de ce pré en face lorsqu’il était blanc de neige. Et descendant sur la luge, toi devant, tu pris les barbelés en arrivant en bas.
On se souvient, de ce plateau en face, où nous allions garder les moutons. Et malgré les aiguillons des genévriers, nous grappillions les avrillots à pleines poignées.
On se souvient du nombre de fois que nous grimpions et descendions cette côte pour couper orties et chardons.
On se souvient, de cette laiterie – mais si, on y voit bien la toiture – où nous allions chercher la crème que la laitière nous déversait directement sur le saladier de fraises que nous venions de ramasser.
Et on se souvient surtout de ce jardin à la terre ingrate, de ce grand-père binant inlassablement, de cette grand-mère récoltant les flageolets.
Et le goût des groseilles, framboises, mirabelles, sugnettes et norbertes nous revient à la bouche immédiatement comme toutes les madeleines de notre enfance.

L’écriture pour Annie Ernaux est une volonté obstinée de combattre l’oubli et de l’utiliser comme un « activateur de mémoire ».
La photographie est du même ordre

La camionnette

 

Fromeréville-les-Vallons (55) le 30 janvier 2022

Un peu grimaçante, mais spirituelle et non sans intérêt, avec son museau de goret renfrogné, la camionnette est là, elle ne bouge pas, elle soupire.
Elle reste là, le teint verdâtre, et le plafond moussu. Elle aimait tant engloutir des kilomètres sur les petites routes pour livrer le pain quotidien,
Aujourd’hui, elle n’a plus de goût à rien. Elle patiente, elle végète, elle croupit. Elle redoute l’inconcevable, l’ abominable mais l’inéluctable dégradation,
le pare-brise éclaté,
le phare pendant,
la porte déglinguée,
les essuie-glaces tordus,
les roues disparues.
Et nous passerons tous les jours, matin et soir, sans la considérer, délaissant la longue agonie du vieux tacot.